Cette appellation élogieuse n’est pas de mon cru mais du grand Herbie Hancock himself, son mentor. C’est dire l’empreinte laissée sur la scène de Chorus le 11 mars dernier par le guitariste béninois Lionel Loueke, 43 ans, qui se produisait avec l’Unitrio du saxophoniste français Fred Borey, Damien Argenteri à l’orgue Hammond B3 (un coup dans le porte-avion…) et le batteur suisse Alain Tissot.
Cette complicité de longue date (près de 20 ans) s’est manifestée tout au long du concert, que ce soient sur les morceaux à l’inspiration africaine ou sur les standards de jazz comme « But not for me » ou « Miles Ahead ». Bien sûr, le métissage justifie l’identité même de Lionel Loueke : tissant des liens entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique, son parcours se ressent dans son jeu, riche de ses expériences, de son enfance au Bénin et du dialogue installé avec ses références jazzistiques. Par son jeu et par sa voix, Lionel exprime son africanité par une rythmique complexe et des mélodies envoûtantes. Mais le jazz reprend le dessus et sublime ce savant mélange grâce notamment à l’apport de l’orgue Hammond B3 (torpilleur coulé…). Cette justesse est suffisamment rare pour qu’on la souligne. Cette maîtrise est une force.
Et il y a le son de sa guitare, d’une beauté absolue, que n’aurait pas renié un certain Wes, mais avec une technique très particulière. Il l’explique dans une récente interview : «Quand j’étudiais à la Berklee School of Music, je jouais comme tout le monde avec un pick. J’ai ensuite poursuivi mes études au Monk Institute et j’ai décidé alors de suivre des cours de guitare classique. Puisque j’aimais faire de la percussion sur les cordes de guitare, j’utilisais tous mes doigts, ce qui m’a amené à m’inspirer de la technique classique. Par la suite, j’ai changé la manière d’accorder mon instrument. Tout ça a donné une nouvelle direction à ma musique. Même si je joue surtout de la guitare à cordes de nylon, j’ai toujours aimé les effets, c’est-à-dire des sons qui me sont propres au-delà des pédales couramment utilisées pour la guitare électrique. Avec Herbie Hancock, remarquez, je joue aussi de la guitare à cordes de métal, mais je conserve la même technique.»
Unitrio ne fut pas en reste ce soir-là : Fred Borey, au soprano et au ténor, manie l’instrument avec inspiration et sonorité feutrée ; Damien Argenteri à l’orgue s’inspire davantage d’un Larry Goldings que d’un Jimmy Smith, et Alain Tissot mène l’équipe à la baguette, avec efficacité et discrétion.
Du tout grand art.
Gabriel Décoppet