Hasard ou ironie de l’histoire : je fus présent à Chorus le vendredi 13 mars (date prémonitoire) au dernier concert avant le confinement *, et présent les 19 et 20 juin aux concerts des pianistes Thierry Lang et François Lindemann, point d’orgue organisé en guise de clôture de la saison 2019-2020.
Entre les deux, citons une saloperie de COVID-19, 40 concerts annulés, le repli complet du maître des lieux et de son équipe, l’arrêt total de toute activité, et, surtout, le doute, qui envahit les esprits. On recommence ? On arrête ? On reprend en automne ? En 2021 ? Et on vous passe le chemin de croix administratif pour obtenir des aides financières des autorités…
«Ce virus qui rend fou», c’est le titre du nouveau bouquin du philosophe français Bernard-Henri Lévy. On parle bien ici du virus du jazz, non ? Le seul qui nous a fait tenir, le seul qui a poussé Chorus et son staff à honorer notre musique préférée une dernière fois avant l’été. Tout le monde a répondu présent : artistes et public. Rassérénant !
A l’affiche de ces deux concerts acoustiques, deux maîtres du jazz romand et du jazz tout court : Thierry Lang en 1ère partie et François Lindemann ensuite, tous deux successivement en solo. Partager ainsi la scène n’est pas chose courante. Mais quand le respect mutuel et l’amitié l’emportent, le pari est gagné. Leur univers est pourtant très différent. Le premier puise son inspiration dans les standards (Tenderly, The Nearness of you, All The Things you are) mais également dans ses propres compositions (Bonny Hills, Walk With Me, Moments in Time). Avec son toucher incomparable, Thierry Lang a l’art de nous transporter dans un monde empreint de séduction et de délicatesse.
Le second a une approche plus percussive de l’instrument. Entouré de gongs venus des quatre coins de l’Asie, François Lindemann a fait ressurgir les moments forts en émotion du concert solo qu’il avait donné au Montreux Jazz Festival dans les années 90. Après un hommage à l’un de ses maîtres Cedar Walton avec « Fantasy in « D », il a donné la part belle à ses propres compositions, tantôt percutantes, tantôt douces, souvent à l’inspiration extrême-orientale (Selamat Siang, Firuzaga), ou aux titres au clin d’œil ironique
(A l’Ancienne, C’est très chic, Elle-même). Un moment de grâce.
Le virus du jazz, je vous dis…
Gabriel Décoppet
* l’excellente chanteuse Aimée Allen et les frères Moutin