6 mois de désert culturel, 6 mois de disette. Et enfin, en avril, les autorités fédérales annoncent le début du bout du tunnel. Terrasses et lieux culturels rouvrent timidement. Dans le cas de Chorus, la restauration et la consommation restent interdites, et la jauge est de 38 spectateurs seulement. Mais imaginez tout de même le soupir de soulagement pour les musiciens, pour Jean-Claude Rochat et son équipe, de pouvoir offrir à un vrai public de la vraie musique ! Tout ceci reste fragile, mais de bleu *, que ça fait du bien !
Deux magnifiques concerts ont ouvert les feux. Le vendredi 23 avril, sous le label « François Lindemann Collectif », le pianiste lausannois réunissait un panel de musiciens transgénérationnels parmi les plus doués : Shems Bendali (tp), Zacharie Ksyk (tb), Arthur Donnot et Ganesh Gaimeyer (ts), Manu Hagmann (b), François Christe (dm) et Cyril Regamey (dm/perc). Les compositeurs « convoqués » ce soir-là donnent à eux seuls le ton : Horace Silver « Selfportrait », Pharoah Sanders « Thembi », Cecil McBee « Song of Her » et Chick Corea « Guijira ». Cette admiration pour ces grands jazzmen est renforcée par ses propres compositions : « Woody’s Song » en hommage à Woody Shaw, « Mister K.J. » pour Keith Jarrett. Sans contexte, Lindemann fait corps avec cet univers, avec peut-être une pointe de nostalgie pour cette période bénie, qu’il a voulu partager avec la jeune génération. Tous sont excellents, avec une mention pour Ganesh Gaimeyer (suberbe son) et Shems Bendali (toujours inventif).
Ambiance toniquement swinguante samedi 24 avril avec le « Emil Spanyi & Jeff Baud Divoc 4tet ». Admirez au passage l’anagramme tout en finesse du nom du groupe composé d’Emil Spanyi (p), Jeff Baud (tp), Matyas Szandai (b) et François Christe (dm). Au menu, des titres d’Art Farmer, Wayne Shorter, Strayhorn/Ellington, Kenny Wheeler, Sonny Rollins, Lee Morgan. La connivence entre les musiciens fait plaisir à voir et à entendre. Le tout est enrobé par la bonne humeur et l’ironie communicative du leader Emil Spanyi, au jeu harmonique et délicat. Jeff Baud n’est pas en reste, avec un son éclatant, volubile, inspiré d’un Roy Hargrove ou d’un Dave Douglas. Quant à la section rythmique, Matyas Szandai mène subtilement le jeu avec sa contrebasse, tandis que François Christe est diablement efficace et précis à la batterie.
Gabriel Décoppet
* Chorus vous autorise à employer le gros mot le plus approprié à votre état d’âme…