L’émotion musicale, mais aussi l’émotion tout court, fut palpable tout au long du concert donné par le groupe du bassiste et compositeur italien Mauro Gargano ce vendredi 12 mai dernier à Chorus.
L’objet de cet émoi ? Une brillante suite musicale conçue en hommage au boxeur sénégalais Battling Siki, né en 1897 à Saint-Louis et assassiné à New York en 1925, premier africain à devenir champion du monde. De Saint-Louis du Sénégal à Amsterdam, en passant par Marseille et Dublin, jusqu’à New York, Battling Siki eut une vie de nomade, une vie de légende, faite de coups en tout genre, interrompue à coups de balle à l’âge de 28 ans. Si vous voulez en savoir plus sur ce destin hors du commun, lisez sur internet le passionnant article d’Amadou Dieng qui date de février 2017:
https://amadoudieng.com/2017/02/01/battling-siki-1897-1925-une-vie-libre/.
Prenant, je vous l’assure.
Gargano, lui-même boxeur, articule les six mouvements de sa suite par des introductions vocales qui nous mettent dans l’ambiance d’un combat. La voix de l’entraîneur donne ses consignes au boxeur (« Crois-moi, fais ce que je te dis ! T’as confiance en moi ?») On entend aussi Siki qui confie ses tourments intérieurs : « J’en ai marre de me salir les mains avec mon propre sang. Dieu sait si ça fait mal !». Ou encore : « J’ai décidé de penser, c’est ça qui m’a sauvé ». Puis la musique prend le relais. Une succession de mélodies nerveuses, de tempos saccadés, à chaque fois avec des harmonies nouvelles. Un très beau travail d’écriture.
Il faut dire que sur scène, Gargano peut compter sur des musiciens hors pair. Manu Codjia à la guitare, un visage à la Art Farmer jeune, est d’une volubilité totalement maîtrisée (et quel son !). Karim Blal au piano, décortique les phrases en usant merveilleusement du demi-ton tout en swinguant. Le batteur Fabrice Moreau donne la pulsion nécessaire. Seul le saxophoniste Ricardo Izquiedo est un poil en dessous de l’inspiration collective.
Mais la palme de la soirée revient au jeune trompettiste américain Jason Palmer. Peu connu en Europe mais très demandé aux USA, il a déjà joué avec Roy Haynes, Herbie Hancock, Jimmy Smith, Wynton Marsalis, Kurt Rosenwinkel, Mark Turner, Lee Konitz, Phil Woods, Roy Hargrove, Lewis Nash. A 38 ans, il a tout compris, tout écouté, tout absorbé de l’héritage, de La Nouvelle-Orléans au post bop. Il allie dextérité et sonorité fantastique, avec une présence scénique discrète mais séduisante. On rêve de le revoir avec sa propre formation à Chorus la saison prochaine !
Gabriel Décoppet