Le 3’000ème concert à Chorus (en réalité le 3’002ème concert d’après le patron des lieux Jean-Claude Rochat mais on ne va pas chipoter) fera date dans les annales du club lausannois.
Cette soirée du 11 novembre fut finement menée par le pianiste et compositeur français Hervé Sellin. D’abord en dédiant le premier set à l’altiste Phil Woods, puis en consacrant le deuxième à Thelonius Monk qui aurait eu 100 ans cette année.
Un mot sur Hervé Sellin : c’est un des plus brillants pianistes actuels, non seulement par son talent mais par l’esprit avec lequel il aborde ses projets.
Avec son trio de choc (Thomas Bramerie à la basse et Philippe Soirat à la batterie), Hervé Sellin a su évoquer avec intelligence une des figures les plus emblématiques du be bop, Phil Woods (1931–2015), sans pour autant le sacraliser, grâce d’une part à un choix judicieux de morceaux, et d’autre part à la présence de l’excellent Pierrick Pedron au sax alto. L’élève et le maître sont si proches…
Thelonius Monk n’aimait pas les big bands. Et pourtant, en 1959, il réunissait un tentet composé de Monk (p), Donald Byrd (tp), Eddie Bert (tb), Robert Northern (cor), Jay McAllister (tuba), Phil Woods (as), Charlie Rouse (ts), Pepper Adams (bs), Sam Jones (b), et Art Taylor (dr) pour le célèbre concert donné au Town Hall de New York. Monk dit alors à son arrangeur Hal Overton : « tu peux arranger ma musique comme tu le veux, à condition de ne pas y toucher ». Mémorable ! Hervé Sellin, quant à lui, réunissait en deuxième partie de soirée la crème des musiciens de la HEMU pour rejouer cette musique : Arthur Donnot (bs), Shems Bendali (tp), Léo Fumagalli (ts), Alexandre Labonde (cor), Guy Cohen Hanoch (tuba), Olga Trofimova, (tb), soutenu par la rythmique d’Hervé Sellin et par Pierrick Pedron.
Le résultat fut absolument magnifique. Les jeunes musiciens de la HEMU ont fait preuve d’une maîtrise et d’une maturité surprenante face à ce monument jazzistique. Presque 50 ans plus tard, Monk (et Phil Woods) démontrent une fois de plus que le be bop restera à jamais un courant de transgression et de modernité dans l’histoire du jazz et que s’il a été tant décrié par les « vieux » musiciens, c’est qu’ils étaient bien incapables de la jouer, tant la rigueur et l’excellence sont de mise. Monk for Ever, je vous le dis.
Gabriel Décoppet